- DIURÈSE ET DIURÉTIQUES
- DIURÈSE ET DIURÉTIQUESLes diurétiques sont les substances qui permettent d’augmenter le débit urinaire. On reconnaît deux causes essentielles aux variations de la diurèse, toutes deux liées au maintien de la composition chimique du milieu intérieur, donc de l’homéostasie.La réabsorption de l’eau, qui dépend surtout de l’action de l’hormone antidiurétique posthypophysaire, permet le contrôle de la masse sanguine et, par voie de conséquence, des compartiments liquidiens de l’organisme. Toute modification du taux d’hormone mis en circulation par l’hypophyse retentit donc sur la diurèse.Mais l’excrétion des substances dissoutes impose également au rein d’éliminer plus ou moins d’eau. Ainsi la polyurie des diabétiques est-elle liée à l’excrétion de glucose. La rétention de l’ion sodium (contrôlée elle aussi par une hormone, l’aldostérone, formée par les surrénales) tend au contraire à diminuer l’élimination d’eau, de telle sorte que le milieu intérieur conserve une dilution appropriée à la vie des cellules.En pratique, il convient de réserver le terme de diurétiques aux substances capables de faire disparaître les œdèmes qui compliquent diverses maladies cardiaques ou rénales, en favorisant l’excrétion de l’ion sodium et, par suite, celle de l’eau.La mise en évidence d’une action diurétique est simple et consiste à mesurer les quantités d’urine et d’électrolytes éliminées. En revanche, lorsqu’il s’agit de déterminer le lieu et le mécanisme d’action des diurétiques, il faut mettre en œuvre des méthodes spéciales dont l’interprétation est parfois difficile.1. Excrétion urinaire et diurèseIl convient de rappeler que la formation de l’urine met en jeu d’une part le sang, dont le rein assure l’épuration, d’autre part le néphron, unité fonctionnelle microscopique du tissu rénal, comprenant un glomérule coiffant un peloton de capillaires sanguins et un tubule, de forme compliquée, également en rapport intime avec un réseau de capillaires très dense (fig. 1). Les différentes phases de la sécrétion urinaire sont les suivantes:a ) filtration du plasma sanguin: au niveau du glomérule passent l’eau et les substances dissoutes dans le plasma, sans modification de concentration; mais le liquide obtenu, ou ultrafiltrat , est dépourvu des macromolécules plasmatiques, l’albumine par exemple, arrêtées par la membrane glomérulaire;b ) réabsorption active du sodium: au niveau du tubule, dans sa partie proximale d’une part, dans sa partie distale d’autre part; le sodium se trouve réabsorbé en liaison avec deux processus biochimiques (soit l’excrétion d’ions hydrogène produits par le métabolisme des cellules du tubule sous l’action d’un enzyme, l’anhydrase carbonique, soit le couplage de l’excrétion du potassium avec l’entrée du sodium dans ces mêmes cellules tubulaires);c ) concentration de l’urine dans l’anse de Henle par le mécanisme de concentration à contre-courant [cf. REIN];d ) dilution de l’urine au niveau de la partie corticale de la branche montante de l’anse de Henle constituant le segment de dilution ;e ) acidification de l’urine dans le tubule distal.MétabolismeÀ l’exception des dérivés mercuriels, les diurétiques sont absorbés par voie digestive. Ils traversent la paroi gastro-intestinale et se fixent sur des protéines plasmatiques. Les diurétiques sont des acides qui, sous leur forme dissociée, s’éliminent au niveau du tubule proximal par le mécanisme d’excrétion des acides.La solubilité dans les corps gras joue également un rôle important dans l’activité des diurétiques, en particulier sous leur forme non dissociée qui semble alors réabsorbée dans une partie plus distale du tubule. La durée et la puissance de leur action dépendent donc du pH urinaire et du pK de l’acide (cf. équilibre ACIDO-BASIQUE).Les diurétiques sont en général excrétés par le système d’excrétion des acides au niveau du foie et passent dans la bile: ils créent un appel d’eau et sont des cholérétiques osmotiques. Ils peuvent être réabsorbés par l’intestin et subissent alors un cycle entérohépatique (c’est le cas notamment des benzothiasiazines).Mode d’actionPresque tous les diurétiques, sauf le furosémide et l’acide éthacrynique, diminuent la vitesse de filtration du plasma, au niveau des glomérules des néphrons.Bien que le mécanisme intime de leur action nous échappe encore, il est bien établi que l’inhibition de la réabsorption du sodium dans les différents segments du tubule rénal est la propriété fondamentale commune à tous ces médicaments (fig. 1).Au niveau du tubule proximal, la diminution de la réabsorption de l’ion sodium peut être compensée par la distension du tubule et l’allongement du temps de passage du liquide qu’il renferme, si bien que l’effet final serait relativement limité. C’est là toutefois que semblent agir surtout les inhibiteurs de l’anhydrase carbonique, en tarissant la mise en liberté, sous l’action de cet enzyme, des ions hydrogène nécessaires à l’échange avec le sodium réabsorbé. On explique dans ce cas l’action des diurétiques par la formation de complexes avec l’ion zinc que renferme l’enzyme.Au niveau des autres segments du tubule (fig. 2), le mode d’action des diurétiques a été expliqué par leur fixation sur les divers enzymes nécessaires à la réabsorption de l’ion sodium, l’anhydrase carbonique mais aussi l’adénosine triphosphatase des cellules de la paroi tubulaire. Les groupes sulfhydriles de cet enzyme seraient bloqués par les diurétiques mercuriels et l’acide éthacrynique. Cependant, aucune corrélation n’a pu être établie entre l’activité diurétique et l’inhibition de l’adénosine triphosphatase.2. Propriétés pharmacologiques secondairesCe sont des médicaments puissants et dont le maniement, en raison des effets secondaires, est particulièrement délicat.– Action antihypertensive . Les diurétiques abaissent la pression artérielle de l’individu hypertendu. On a d’abord attribué cette action à la réduction de la masse sanguine, diminuant le retour veineux et le débit cardiaque, et il semble bien que dans sa phase initiale l’effet des diurétiques soit bien celui-là. Mais, au cours d’un traitement chronique, la pression artérielle se maintient basse, en dépit du retour à la normale de la masse sanguine et du débit cardiaque; on a alors supposé que les diurétiques éliminaient le sodium des parois vasculaires, qui, chez l’hypertendu en sont riches [cf. TENSION ARTÉRIELLE].– Action antidiurétique . Certains diurétiques: benzothiadiazines, furosémide, acide éthacrynique, réduisent la polyurie des diabètes insipides. La réduction du volume sanguin diminue la filtration glomérulaire et le liquide tubulaire séjourne plus longtemps dans le tubule, ce qui a pour conséquence de favoriser la réabsorption du sodium. Le segment de dilution dispose de moins de sodium pour la réabsorption indépendante de celui-ci; la clearance de l’eau libre diminue et ce phénomène entraîne l’antidiurèse.– Action hyperglycémiante . Les benzothiadiazines, le furosémide, l’acide éthacrynique, l’acétazolamide provoquent l’hyperglycémie et ont été accusés d’entraîner chez l’homme des pancréatites et même le diabète. L’hypokaliémie semble responsable de l’accroissement de la glycogénolyse.– Hyperuricémie . De nombreux diurétiques élèvent le taux sanguin de l’acide urique et peuvent déclencher des crises aiguës de goutte, probablement en inhibant l’excrétion de l’acide urique au niveau du tubule proximal.– Action sur le système rénine-angiotensine-aldostérone . Les diurétiques, en diminuant le volume sanguin, provoquent la sécrétion de rénine et l’hyperaldostéronisme [cf. ALDOSTÉRONE]. Cela peut être cause d’un phénomène de rétention exagérée du sodium à l’arrêt du traitement.– Perturbations hydro-électrolytiques . Les diurétiques peuvent déclencher de nombreuses perturbations hydro-électrolytiques: déplétion aiguë de sodium (perte de poids, déshydratation, hypotension, somnolence, léthargie), déplétion chronique de sodium (somnolence, crampes musculaires, désorientation, antidiurèse), aggravation d’une hyponatrémie dilutionnelle chronique. De même, ils peuvent perturber le métabolisme du potassium; la plupart provoquent des hypokaliémies, mais la spirolactone, le triamtérène et l’amilodine provoquent des hyperkaliémies. La perte de chlore entraîne une alcalose hypochlorémique.– Urée . L’urémie, chez les hépatiques à filtration glomérulaire basse, est une complication redoutable du traitement.– Accidents allergiques . Les diurétiques comme tous les médicaments, suscitent parfois des accidents allergiques.3. Principaux diurétiquesInhibiteurs de l’anhydrase carboniqueAu cours de l’utilisation de sulfamides antibactériennes, on avait observé l’alcalinisation de l’urine et un effet diurétique du médicament, d’où la recherche et la mise au point de sulfamides présentant cette propriété: ce sont les inhibiteurs d’un enzyme, l’anhydrase carbonique; on en connaît deux types, les sulfamidothiadiazoles, dont le principal représentant est l’acétazolamide, et les phényldisulfonamides comme la dichlorphénamide (formule 1). Ils provoquent une diurèse aqueuse, sodique, bicarbonatée et potassique; l’urine est alcaline. L’acide inhibe leur action et comme ils produisent eux-mêmes l’acidose plasmatique, leur effet s’épuise progressivement.Ils agissent partout où intervient l’anhydrase carbonique au niveau des tubules proximal et distal. Ce sont les seuls diurétiques dont l’action sur le tubule proximal soit indiscutée.En inhibant l’anhydrase carbonique, ils tarissent la source d’ion H+ nécessaire à l’échange avec le sodium au niveau du tubule; de plus, au niveau du tubule distal, ils favorisent les échanges entre le sodium et le potassium entraînant l’élimination du potassium et alcalinisant l’urine (fig. 1 et 2).Outre leur activité diurétique, les inhibiteurs de l’anhydrase carbonique ont d’autres propriétés consécutives à l’inhibition de l’enzyme: diminution de la sécrétion du suc gastrique et du suc pancréatique (cette action trop peu puissante ne peut être mise à profit chez l’ulcéreux), diminution de la sécrétion de l’humeur aqueuse réduisant la tension intra-oculaire (certains sont utilisés dans le traitement du glaucome), réduction de la sécrétion du liquide céphalo-rachidien, propriétés anticonvulsivantes, probablement par l’acidose qu’ils provoquent, et enfin inhibition de la formation de l’acide carbonique métabolique (traitement des acidoses respiratoires).BenzothiadiazinesLes benzothiadiazines appartiennent à deux séries chimiques, le chlorothiazide et son dérivé de réduction, l’hydrochlorothiazide (formule 2). Les diurétiques de ce groupe diffèrent par leur liposolubilité, conditionnant la vitesse de réabsorption, la fixation aux protéines plasmatiques, la réabsorption par le tubule proximal, facteur essentiel de la puissance et de leur durée d’action.Actives per os , les benzothiadiazines déclenchent une diurèse sodique, chlorurée, potassique, légèrement bicarbonatée. Les urines sont faiblement alcalines. Les benzothiadiazines sont actives en acidose et en alcalose.Leur lieu d’action fut d’abord placé au niveau du tubule proximal, mais de nouvelles recherches l’ont situé au niveau du segment de dilution. Elles n’ont pas d’action au niveau du tubule distal et l’hyperkaliurie qu’elles provoquent est la conséquence de la surcharge de ce segment du néphron en sodium, ce qui favorise les échanges sodium-potassium; elles agissent encore par leurs propriétés faiblement inhibitrices vis-à-vis de l’anhydrase carbonique et par l’hyperaldostéronisme qu’elles causent.Le mécanisme d’inhibition de la réabsorption du sodium qu’elles entraînent n’est pas encore connu; la légère inhibition de l’anhydrase carbonique constatée après leur administration ne peut expliquer la diurèse. Par ailleurs, les benzothiadiazines diminuent la filtration glomérulaire.Diurétiques mercurielsL’action diurétique du mercure est connue depuis le XVe siècle, mais les composés employés aujourd’hui sont des dérivés organomercuriels, comme la mercaptomérine et la mercurophylline.Les diurétiques mercuriels, actifs seulement par voie parentérale, provoquent après un temps de latence court (trente minutes) l’excrétion d’une urine isotonique ou hypotonique. Ils accroissent la diurèse aqueuse, sodique et chlorurée, et rééquilibrent l’excrétion potassique. Ils agissent uniquement en cas d’acidose, mais alors la diurèse peut atteindre des proportions considérables (jusqu’à 30 p. 100 du filtrat glomérulaire).Les diurétiques mercuriels ne modifient pas la vitesse de filtration glomérulaire.L’inhibition de la réabsorption du sodium qu’ils provoquent a d’abord été localisée au niveau du tubule proximal, mais il semble que le segment de dilution soit le lieu de leur action principale. Leur intervention dans le mécanisme de concentration à contre-courant est encore discutée.Les diurétiques mercuriels inhibent les échanges sodium-potassium au niveau du tubule distal, réduisant la kaliurèse lorsqu’elle est élevée; si elle est basse, la surcharge en sodium stimule les échanges avec le potassium et masque le premier phénomène.Furosémide et acide éthacryniqueLe furosémide est un acide sulfamidé et l’acide éthacrynique dérive des acides aryloxy-acétiques. Mais si leur structure chimique est fort éloignée, leurs propriétés pharmacologiques sont voisines (formule 3).Ce sont des diurétiques extrêmement puissants, déclenchant l’élimination de quantités importantes du filtrat glomérulaire (jusqu’à 30 p. 100); la diurèse est rapide et brève. Ils sont actifs per os , aussi bien en alcalose qu’en acidose, et provoquent l’élimination d’une urine acide et hypotonique; l’excrétion du sodium, du potassium, du chlore est plus abondante. Leur action persiste même après administration de benzothiadiazines.Ils accroissent la filtration glomérulaire en augmentant le débit sanguin rénal et ils empêchent la réabsorption du sodium sur toute la longueur de la branche montante de l’anse de Henle (segment de concentration à contre-courant et segment de dilution).Ils n’ont pas d’action directe sur le tubule distal et l’hyperkaliémie résulte donc de la surcharge du liquide tubulaire distal en sodium.Diurétiques agissant sur le tubule distalInhibiteurs compétitifs de l’aldostéroneLe fait que la progestérone possède une légère action antialdostérone a conduit Kagawa à rechercher dans ce groupe de stéroïdes des substances antagonistes de cette hormone qui contrôle la rétention du sodium et l’excrétion du potassium.En 1957, il a décrit les propriétés de la spirolactone (formule 4).Celle-ci, en bloquant les échanges sodium-potassium, provoque une diurèse sodique et aqueuse avec rétention du potassium: 1 000 molécules de spirolactone inhibent les effets d’une molécule d’aldostérone. Elle empêche l’excrétion du potassium que provoquent les benzothiadiazines, le furosémide, l’acide éthacrynique au niveau du tubule distal, mais elle potentialise l’action de la diurèse sodique.La spirolactone est surtout prescrite dans le traitement des œdèmes cirrhotiques, mais comme une hypersécrétion d’aldostérone peut suivre son action, il est bon d’y associer des corticoïdes.Triamtérène et amiloridLe triamtérène est une phényldiaminoptéridine et l’amilorid est une pyrazinoylguanidine monoclorée et diaminée (formule 5). Ces deux substances, bien que leur formule chimique soit assez différente, ont des propriétés pharmacologiques voisines. Elles amènent l’élimination du sodium et, à un degré moindre, du chlore et de l’ion carbonique, mais par contre diminuent l’élimination du potassium, de l’hydrogène et de l’ammoniaque. Leur durée d’action atteint une dizaine d’heures.Au niveau du tubule distal, comme l’ont montré les expériences de diurèse interrompue, elles inhibent les échanges entre sodium et potassium. Mais le mécanisme d’action de ces médicaments diffère de celui de la spirolactone, car ils sont actifs chez l’animal surrénalectomisé et ne sont pas antagonistes de l’aldostérone. Ils n’ont pas d’action sur le tubule proximal ou sur le mécanisme de concentration à contre-courant. L’amiloridine empêche en outre les échanges avec l’ion hydrogène, bloquant de ce fait l’acidification de l’urine.Comme la spirolactone, ils accroissent la natriurèse causée par les benzothiadiazines, le furisémide et l’acide éthacrynique mais font cesser l’hyperkaliémie provoquée par ces diurétiques.XanthinesLa caféine, la théophylline et la théobromine ont des actions diurétiques car elles provoquent l’élimination de l’eau, du sodium, du potassium, du chlore, du calcium et de l’urée.On a supposé pendant longtemps que l’action diurétique était la conséquence de l’augmentation de la filtration glomérulaire consécutive à l’amélioration de l’hémodynamique. En fait, les xanthines ont des effets irréguliers sur la vitesse de filtration glomérulaire. Elles inhibent la réabsorption de l’ion sodium, en un lieu de néphron qui n’est pas encore connu.Glucosides cardiotoniquesL’action diurétique de la digitale fut mise en évidence en 1785 lorsque Withering l’introduisit dans le traitement des œdèmes.Les anciens auteurs ont attribué l’action diurétique des glucosides cardiotoniques à l’amélioration de la vitesse de filtration glomérulaire, conséquence de l’amélioration des circulations générale et rénale. Plus récemment, on a démontré que les glucosides cardiotoniques inhibent d’une part la réabsorption du sodium au niveau du tubule proximal et d’autre part les échanges sodium potassium au niveau du tube distal. Ils accroissent l’excrétion des ions H+, P42-, de l’acide urique, du glucose.CorticoïdesLa cortisone et ses dérivés provoquent chez l’individu normal une rétention de sodium et une excrétion de potassium par action sur le tubule distal, effet similaire à celui de l’aldostérone.Par contre, chez le cirrhotique, ces corticoïdes ont une action paradoxale, provoquant la diurèse et l’excrétion du sodium. Toutefois, le mécanisme d’action est encore mal compris.
Encyclopédie Universelle. 2012.